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L’interview du Jarl sur Sud Radio devait lui permettre de justifier son intervention et celle de son équipe de sécurité lors des événements du 8 au 9 mars 2025 à Rennes. Pourtant, son discours oscille entre minimisation des faits, rhétorique sécuritaire et justifications hasardeuses, révélant des contradictions flagrantes avec les vidéos circulant sur les réseaux sociaux.
Un discours centré sur la montée de la violence
Dès le début de l’entretien, le Jarl tente de contextualiser son intervention en insistant sur une explosion de la violence dans les centres-villes et autour des discothèques. Il évoque notamment une détérioration des conditions de sécurité après la crise sanitaire, expliquant que :
🗣️ "Avant, j'avais une histoire incroyable à raconter par an, aujourd’hui c’est tous les week-ends, j’ai au moins deux à trois histoires incroyables à raconter."
Cette généralisation de la violence lui sert de prétexte pour légitimer un renforcement des dispositifs de sécurité privés et son propre rôle dans la protection de son établissement. Pourtant, les faits montrent que son équipe est intervenue bien au-delà de la discothèque, posant la question de la légitimité d’une telle action hors du cadre légal.
Une justification floue de son intervention
Face aux accusations selon lesquelles il aurait pris l’initiative d’intervenir avant la police, le Jarl tente de clarifier sa position : 🗣️ "On est allé constater la situation, on a appelé la police, c’est tout ce qu’on a fait."
Cependant, cette affirmation contredit les vidéos disponibles sur les réseaux sociaux, qui montrent son équipe présente sur place bien avant l’arrivée des forces de l’ordre, en interaction avec des individus sur la voie publique et dans un bâtiment désaffecté.
Le Jarl insiste également sur le contexte réglementaire :
🗣️ "Depuis octobre ou novembre, il y a un arrêté préfectoral interdisant les attroupements dans la ville, notamment dans notre zone."
S'il est vrai qu’un arrêté interdit certains rassemblements à Rennes, cela ne confère aucun droit aux agents de sécurité privés d’intervenir sur la voie publique ni dans des espaces qui ne sont pas sous leur responsabilité.
L'usage du gaz lacrymogène : une défense bancale
Interrogé sur les images le montrant avec un spray lacrymogène, le Jarl ne conteste pas cet usage, mais tente d’en minimiser la portée :
🗣️ "On y va, on se protège, parce qu’ils sont 50 et l’extrême gauche et l’Union Pirate ne sont pas connus pour leur pacifisme."
Ce passage est fondamental, car il reconnaît implicitement que son équipe a utilisé des armes de catégorie D sans justifier une situation de légitime défense immédiate, comme l’exige pourtant l’article R613-3-7 du CSI. En droit, se sentir en insécurité ne suffit pas à justifier un usage préventif du gaz lacrymogène.
Les contradictions sur la fermeture des portes
L’un des points les plus controversés concerne l’accusation selon laquelle son équipe aurait bloqué l’entrée du bâtiment désaffecté. Là encore, le Jarl se défend maladroitement :
🗣️ "Ils mettent sur les réseaux qu'on a bloqué les portes. On n'a jamais bloqué les portes, c’est eux qui se sont enfermés dedans."
Or, ce point est essentiel : si l’intervention de son équipe a effectivement empêché des personnes de sortir, cela pourrait être interprété comme une entrave à la liberté de circulation, un fait particulièrement grave.
Une posture victimaire assumée
Durant l’entretien, le Jarl adopte une posture où il se présente comme un acteur isolé, contraint de pallier les carences des forces de l’ordre : 🗣️ "On est obligés de faire le travail de la police, parce qu’on se retrouve tout seuls à gérer une situation qui déborde."
Cette déclaration est problématique, car elle suggère que des agents privés peuvent prendre le relais des forces publiques, ce qui est totalement illégal. L’article L613-1 du CSI limite clairement les missions des agents de sécurité à la protection des lieux sous leur responsabilité.
D'ailleurs plusieurs passages de l’interview du Jarl sur Sud Radio suggèrent qu’il considère que lui et son équipe de sécurité privée doivent suppléer aux forces de l’ordre. Cette posture est en totale infraction avec les principes du Livre VI du Code de la Sécurité Intérieure (CSI), qui encadre strictement les missions des agents de sécurité privée et interdit toute substitution aux forces de police et de gendarmerie. Voici les passages concernés :
Une dérive sécuritaire : quand la sécurité privée se prend pour la police
Une volonté d’agir en lieu et place de la police
🗣️ "On est obligés de faire le travail de la police, parce qu’on se retrouve tout seuls à gérer une situation qui déborde."
➡ Problème juridique : Cette déclaration est extrêmement préoccupante. Le Jarl reconnaît explicitement qu’il estime devoir remplacer la police en cas de débordements. Or, les agents de sécurité privée ne sont en aucun cas habilités à intervenir pour rétablir l’ordre public. L’article L613-1 du CSI stipule que les activités de sécurité privée sont strictement limitées à la surveillance et à la protection des biens et des personnes dans les lieux dont elles ont la charge.
🔴 Une telle déclaration pourrait justifier une interdiction de son service interne de sécurité par le CNAPS.
Une justification illégitime de son intervention avant l’arrivée des forces de l’ordre
🗣️ "On est allé constater la situation, on a appelé la police, c’est tout ce qu’on a fait."
➡ Problème juridique : Cette affirmation est en contradiction avec les vidéos circulant sur les réseaux, qui montrent son équipe déjà en action avant même l’arrivée des forces de l’ordre.
Si l’équipe de sécurité du Jarl s’est rendue sur place sans que l’endroit ne soit sous sa responsabilité, il s’agit d’une violation de l’article L613-2 du CSI, qui limite strictement l’exercice des missions de sécurité privée aux lieux pour lesquels les agents sont mandatés.
Une critique insistante sur l’inaction des autorités et le manque de policiers
🗣️ "La police de terrain, j’y suis en permanence avec eux, je leur tire mon chapeau. Ce week-end, ils arrivent, ils sont 15, ils ont une foule de 300-400 personnes à gérer. Pourquoi ils sont 15 ? Parce qu’il n’y a plus d’effectifs. Ça fait 3 ans que j’arrête pas de le dire !"
➡ Problème juridique : Cette critique sous-entend que le manque de policiers justifie l’intervention de son service interne de sécurité sur la voie publique. Or, même en cas de sous-effectif des forces de l’ordre, aucune loi ne permet à un agent de sécurité privée de pallier ce manque.
Le Code de Déontologie des agents de sécurité privée (article R631-1 du CSI) impose aux agents un strict respect des lois et règlements en vigueur, notamment concernant la non-substitution aux forces publiques.
Une défense illégitime de l’usage de la force
🗣️ "Quand 100, 150, 200 personnes ont décidé de balancer des bouteilles de verre vers nos clients [...], on a fait avec ce qu’on a pu."
➡ Problème juridique : Cette phrase semble justifier l’usage de la force physique et du gaz lacrymogène en réponse à une situation qu’il considère comme menaçante. Pourtant, l’article R613-3-7 du CSI interdit formellement l’usage d’armes de catégorie D (sprays lacrymogènes) sauf en cas de stricte légitime défense, définie par l’article 122-5 du Code pénal.
Or, rien ne prouve que l’usage du gaz lacrymogène était proportionné et justifié par une menace immédiate. Il s’agit d’un point sur lequel le CNAPS pourrait sanctionner sévèrement son service interne.
Un appel à une réaction plus musclée des forces de l’ordre
🗣️ "Aujourd’hui, on a compris que ça marchait quand on quadrillait les zones. Pourquoi ne pas faire pareil dans les villes comme Rennes, Bordeaux, Nantes ?"
➡ Problème juridique : Ici, le Jarl semble revendiquer une gestion plus offensive des problèmes de sécurité, et par extension, légitimer des interventions musclées comme celle menée par son équipe.
Or, les agents de sécurité privée ne peuvent en aucun cas se substituer aux forces de l’ordre pour garantir l’ordre public. Cette déclaration confirme une volonté de combler un vide sécuritaire perçu, en dehors du cadre légal autorisé.
Un parallèle avec mes articles précédents
Cette interview sur Sud Radio entre en contradiction directe avec plusieurs éléments déjà documentés dans mes articles précédents :
1️⃣ Le contrôle du CNAPS déjà en cours
Comme expliqué dans mon article précédent (lire ici), le CNAPS a annoncé un contrôle administratif sur le service interne de sécurité du 1988 Live Club. Ce contrôle vise précisément à examiner les manquements réglementaires relevés, notamment :
- L’usage d’armes de catégorie D (sprays lacrymogènes) en dehors des règles strictes de légitime défense.
- L’intervention illégitime sur la voie publique, sans autorisation préfectorale.
- Les conditions d’exercice des agents, notamment leur formation et la conformité des tenues réglementaires.
Le Jarl affirme avoir hâte de prouver sa bonne foi grâce à des vidéos qu'il n'aurait pas encore publiées, insistant sur le fait qu'elles démontreraient la réalité des événements et mettraient en difficulté les jeunes d’extrême gauche qu’il accuse d’être responsables des tensions.
Mais cette posture soulève une véritable incohérence : Pourquoi garderait-il volontairement des vidéos supposées accablantes pour ses opposants, alors qu’il est habituellement extrêmement prolifique sur le partage d’images ?
En effet, le Jarl a pour habitude de diffuser massivement et immédiatement des vidéos lorsqu’il met en cause des individus impliqués dans des incidents autour de son établissement. Son compte sur les réseaux sociaux est régulièrement alimenté d’images d’agressions présumées, où les visages des personnes filmées ne sont même pas floutés, les exposant ainsi directement à des représailles médiatiques ou judiciaires.
Pourquoi, cette fois-ci, se montrer aussi prudent et sélectif dans la diffusion des preuves qu’il prétend détenir ?
2️⃣ Des précédents similaires dans d'autres discothèques
Dans un autre article (voir ici), j’évoquais déjà des affaires similaires où des discothèques ont été sanctionnées pour l’usage abusif de la force par leur service interne de sécurité.
La Cour d’appel de Rennes avait déjà condamné une boîte de nuit à plus de 65 000 euros de dommages et intérêts après des violences commises par des agents de sécurité interne.
Dans cette affaire, comme pour le 1988 Live Club, les faits reprochés incluaient :
- Usage excessif de la force (sprays lacrymogènes, coups violents).
- Dérives dans l’application des règles de sécurité privée.
- Responsabilité directe de la direction de l’établissement.
Cette similitude renforce le risque que le CNAPS prenne des sanctions sévères contre l’établissement rennais.
Le Jarl sous pression : une nouvelle condamnation qui alourdit son passif
Alors que le CNAPS vient d’ouvrir un contrôle administratif sur le 1988 Live Club pour vérifier la conformité de son service interne de sécurité, Yovan Delourme, alias Le Jarl, voit son casier judiciaire s’alourdir.
Le lundi 10 mars 2025, la cour d’appel de Rennes a confirmé sa condamnation pour pratiques commerciales trompeuses. En cause, la diffusion d’images laissant croire qu’il était coach de MMA, alors qu’il n’avait aucun diplôme lui permettant d’exercer cette activité.
Cette nouvelle sanction tombe au pire moment pour celui qui se présente comme un garant de l’ordre dans les établissements de nuit, et qui revendique un discours d’autorité sur la violence et la sécurité.
Avec cette décision, la justice a prononcé :
- Une amende de 5 000 euros.
- Une interdiction d’exercer la profession de coach sportif pendant trois ans.
- Une interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise, directement ou indirectement.
L’élément le plus marquant reste cette dernière interdiction, qui remet en cause sa capacité à continuer d’exercer son influence dans des structures comme le 1988 Live Club. Bien que cette sanction concerne son activité de coaching sportif, elle fragilise son statut de dirigeant et de gestionnaire dans des activités économiques où il reste actif.
Un entretien qui pourrait se retourner contre lui
Cette intervention sur Sud Radio n’a pas permis au Jarl de dissiper les doutes sur son rôle dans les événements du 8 au 9 mars.
Au contraire, plusieurs déclarations clés pourraient aggraver son cas :
✅ Il reconnaît implicitement l’usage du gaz lacrymogène mais ne justifie pas une légitime défense immédiate.
✅ Il admet avoir pris l’initiative d’intervenir avant la police, ce qui sort du cadre légal des agents de sécurité privée.
✅ Il affirme que son équipe était en danger, mais cela ne justifie pas une action en dehors des règles strictes du CSI.
Le CNAPS, déjà saisi de l’affaire, devra trancher sur ces points et pourrait prononcer des sanctions disciplinaires sévères, voire une interdiction temporaire du service interne de sécurité du 1988 Live Club.
L’avenir du Jarl et de son établissement semble désormais plus que jamais suspendu aux conclusions de cette enquête administrative. Affaire à suivre.