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Bien avant le spectaculaire cambriolage du 19 octobre 2025, le musée du Louvre était peut-être déjà l’un des sites culturels les plus vulnérables de France.
Rapports de la Cour des comptes, questions parlementaires, affaires de vol internes ou externes : tout annonçait la défaillance d’un système resté figé depuis plus de vingt ans.
Des failles documentées depuis 2000
Dans son rapport de 2001 sur « La gestion de l’établissement public du musée du Louvre », la Cour des comptes avait déjà constaté que la sécurité du musée souffrait d’un pilotage défaillant, d’une discipline interne inopérante et d’un recours illégal à des vacataires permanents.
Le rapport notait :
« L’insuffisance des effectifs conduit le musée à employer, pour des besoins permanents à temps complet, plusieurs dizaines d’agents dits “vacataires”, rémunérés sur des crédits de vacation, ce qui est irrégulier au regard de la loi du 11 janvier 1984. »
Ce choix, censé pallier les absences et les postes vacants, contournait le droit de la fonction publique et installait une précarité structurelle dans les services de surveillance.
Résultat : près d’un quart des salles du musée étaient régulièrement fermées au public faute de personnel.
La Cour évoque aussi un climat de permissivité :
« L’établissement public, sachant qu’il ne maîtrise pas la gestion des agents et qu’il peut être désavoué par le ministère, est enclin à tolérer des errements ou comportements inadmissibles. »
Des vols internes passés sous silence
L’un des passages les plus graves du rapport de 2001 concerne plusieurs affaires de vol commises par des agents eux-mêmes.
La Cour mentionne notamment :
« Des fonctionnaires affectés au service de la surveillance de nuit ont été impliqués dans une série de vols commis au préjudice du musée. »
L’affaire la plus emblématique remonte à l’an 2000 : du matériel informatique, d’une valeur supérieure à 30 000 €, avait disparu des locaux du musée. Une partie fut retrouvée au domicile d’un agent.
Malgré la plainte déposée, une seule révocation fut prononcée - les autres agents mis en cause furent maintenus.
Pire encore : la Cour révèle que de nombreux matériels audiovisuels (tables de mixage, amplis, appareils photo...) avaient disparu entre 1989 et 2000, sans qu’aucune plainte ne soit déposée.
Valeur totale estimée : plus de 83 000 €.
Ces vols internes, déjà à l’époque, mettaient en cause la fiabilité du service de surveillance de nuit, décrit comme « autarcique » et « sans contrôle effectif ».
Le vol du Corot en 1998, symbole d’un système poreux
Le 3 mai 1998, une toile de Jean-Baptiste Camille Corot, Le chemin de Sèvres, est dérobée en plein jour, lors d’une journée de forte affluence.
Ce vol spectaculaire avait déjà mis en lumière les failles du dispositif de surveillance et conduit à la création d’un groupe permanent de sécurité au sein du musée.
Mais, selon la Cour, les mesures décidées ensuite n’ont été appliquées qu’en partie :
« Les actions urgentes et prioritaires ne sont pas tenues », constatait le groupe dès 2000.
Ce précédent aurait dû servir d’électrochoc. Il n’en fut rien.
2011 : dix ans après, la Cour des comptes répète les mêmes alertes
Dans son rapport « Les musées nationaux après une décennie de transformations », la Cour note que les retards accumulés sur la sécurité, l’entretien et la conservation persistent :
« Les réalisations sont restées en deçà des objectifs. »
Le Louvre, pris dans la spirale de la fréquentation de masse (près de 9 millions de visiteurs annuels), souffre déjà d’une obsolescence accélérée de ses équipements.
La sécurité reste un domaine sous-financé et fragmenté.
2025 : le constat d’échec absolu
Le pré-rapport 2025 de la Cour des comptes, non encore publié mais consulté par l'AFP, acte la faillite du modèle.
« Le musée du Louvre n’est pas parvenu à rattraper son retard dans le déploiement d’équipements destinés à assurer la protection des œuvres. »
Quelques chiffres suffisent :
- 60 % des salles de l’aile Sully et 75 % de l’aile Richelieu sans vidéosurveillance.
- Système de détection incendie inachevé depuis 2010.
- Travaux de sûreté devenus « une variable d’ajustement budgétaire ».
Les magistrats de la rue Cambon évoquent une grande vulnérabilité, liée à un sous-investissement chronique et à un retard technologique persistant.
Février 2025 : le Sénat s’inquiète de la vétusté du musée
Le sénateur Arnaud Bazin (LR) interpellait la ministre de la Culture dès le 6 février 2025, dénonçant la « vétusté alarmante » du Louvre et le risque de dégradation des œuvres :
« La multiplication d’avaries dans des espaces très dégradés, l’obsolescence des équipements techniques et d’inquiétantes variations de température mettent en danger l’état de conservation des œuvres. »
Le sénateur interrogeait le gouvernement sur la part réelle du budget d’entretien dans les recettes générées par les 8,7 millions de visiteurs de 2024 (billet à 22 euros).
La réponse ministérielle, attendue, n’a jamais été publiée.
Huit mois plus tard, un casse vient illustrer l’urgence de la question.
Un enchaînement logique, pas une fatalité
De 1998 à 2025, la chronologie est limpide :
- Vol d’une toile de Corot en 1998.
- Vols internes répétés jusqu’en 2000.
- Sous-effectifs et pratiques illégales de recrutement dénoncées par la Cour.
- Plans de sûreté partiellement mis en œuvre.
- Rapports 2011 et 2025 confirmant un retard persistant.
- Question parlementaire ignorée en 2025.
- Et enfin, le cambriolage du 19 octobre : le point final d’un long déni.
Les agents de surveillance interne du Louvre : recrutés sans carte CNAPS, formés en interne (?)
Des anciennes annonces d’emploi pour des postes d’agents de surveillance interne au Musée du Louvre circulent actuellement sur plusieurs plateformes comme Emploi-territorial, StudentJob, ou Vocation Service Public.
Les intitulés varient : agent d’intervention (F/H), agent de surveillance des jardins, ou encore agent d’accueil et de surveillance. Ces postes sont directement liés à la surveillance muséographique et à la protection des espaces ouverts au public.
Ces agents n’appartiennent pas au secteur de la sécurité privée au sens du Livre VI du Code de la sécurité intérieure. Ils ne sont donc pas soumis au contrôle du CNAPS, n’ont pas besoin de carte professionnelle, et ne réalisent aucun MAC (maintien et actualisation des compétences) tous les cinq ans, contrairement aux agents de sécurité privée.
Leur recrutement relève du statut de la fonction publique ou de contrats directs avec l’établissement public, souvent sans concours (catégorie C). Les profils recherchés sont essentiellement des personnels d’accueil et de surveillance, sans exigence de certification réglementée en sécurité.
Reste une zone grise : la formation initiale.
Le Louvre ne communique pas publiquement sur un cursus spécifique de formation interne. On peut supposer une formation à l’embauche portant sur la sûreté, la gestion des flux et la conduite à tenir face aux incidents, mais aucune certification officielle ou reconnue par le RNCP n’est imposée, avec un véritable examen indépendant. Ces agents exercent donc des missions proches de la sécurité privée, sans encadrement normatif comparable à celui des agents de sécurité privée.
À retenir
- Depuis 1998, plusieurs vols internes et externes ont révélé les failles du Louvre.
- Dès 2001, la Cour des comptes dénonçait le recours illégal à des vacataires permanents et une gestion disciplinaire inopérante.
- 60 à 75 % des salles étaient encore sans vidéosurveillance en 2025.
- Le Sénat alertait sur la vétusté du musée quelques mois avant le vol.
- Le casse du 19 octobre n’est pas un incident isolé, mais l’aboutissement d’un cycle d’alerte ignoré.
Source
- Cour des comptes, La gestion de l’établissement public du musée du Louvre (1993-2000)
- Cour des comptes, Rapport public annuel 2011 - Les musées nationaux après une décennie de transformations
- Cour des comptes, Pré-Rapport 2025 - Sécurité et maintenance du musée du Louvre
- Question écrite n°00806 de M. Arnaud Bazin (Sénat, 6 février 2025)