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Par Anne Quentier, avocat associé et Anna Coudray, avocat collaborateur, SCP Quentier Pouget
Comment reconnaître une situation de sous-traitance illicite ?
Toute opération de prêt de main-d’œuvre à but lucratif est illicite sauf celles encadrées par la loi (portage salarial, travail temporaire, entreprises de travail à temps partagé,…).
Deux critères doivent être posés pour caractériser une situation de sous-traitance illicite : déterminer si la finalité du contrat de sous-traitance est exclusivement le prêt de personnel, et vérifier si le prêt de main-d’œuvre est lucratif pour l’entreprise « prêteuse ».
La détermination de la finalité du contrat : l’utilisation d’un faisceau d’indices
Il s’agit ici de caractériser si l’opération a pour but exclusif le prêt de personnel.
Cette opération permet de distinguer le contrat en cause du contrat d’entreprise (contrat de sous-traitance ou de prestation de services) qui est un contrat avec une tâche objectivement définie où le prêt de main-d’œuvre n’est qu’un moyen permettant la réalisation de cette tâche.
Pour mettre en évidence le but exclusif, le juge s’attachera à la finalité du contrat et vérifiera si :
le contrat porte sur une tâche à accomplir, définie avec précision, et non sur une simple location de main-d’œuvre ;
le personnel détaché dans l’entreprise utilisatrice conserve, pendant l’exécution de la mission une totale autonomie par rapport aux salariés de l’utilisateur ; cette autonomie se concrétisant au niveau de l’encadrement, qui doit être assuré par un salarié de l’entreprise extérieure, doté des pouvoirs correspondant ainsi qu’au niveau des conditions de travail qui ne doivent pas être « calquées » sur celles des salariés de l’entreprise utilisatrice (telles que les horaires de travail) ;
la rémunération prévue au contrat est fixée forfaitairement, en fonction du résultat et non du nombre d’heures de travail effectuées ;
le sous-traitant fournit au personnel détaché l’outillage ou les moyens matériels nécessaires à l’exécution de la tâche ;
l’activité sous-traitée implique une spécialisation ou un savoir-faire que ne possèdent pas les salariés de l’utilisateur ;
le contrat comporte des clauses contraignantes pour le sous-traitant : obligation de résultat, assurance contre le risque de malfaçon, etc.
Seuls les éléments de faits sont pris en compte par le juge pour déterminer si les critères sont remplis ; ce dernier n’étant pas lié par la qualification donnée aux dispositions contractuelles par les parties. S’il parvient à mettre en évidence que certains de ces critères ne sont pas remplis le juge pourra d’ores et déjà présumer du caractère illicite de la sous-traitance.
La vérification du caractère lucratif : la réalisation d’un bénéfice ou d’économies
Le caractère lucratif du prêt de main-d’œuvre est retenu chaque fois que le personnel est mis à disposition d’une entreprise tierce utilisatrice par une personne physique ou morale dans l’objectif d’en retirer un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire (exception faite des cas autorisés par la loi comme par exemple le travail temporaire).
Il convient de distinguer le caractère lucratif et le caractère onéreux de l’opération, source de confusion. D’une manière générale, le caractère lucratif d’une activité suppose que l’intéressé qui l’exerce en retire un bénéfice, un profit, ou un gain pécuniaire alors que le caractère onéreux s’oppose en principe à la gratuité et implique que celui qui exécute la prestation est simplement rémunéré.
Ainsi, les tribunaux retiennent le caractère lucratif de l’opération lorsque le gain pour le prestataire résulte de la différence entre le prix facturé par la société prêteuse à son client et le coût de la main-d’œuvre mise à disposition. (Cass. crim. 16 juin 1998, no 97-80.138)
Le but lucratif peut également être caractérisé dès lors que l’utilisateur n’a pas à supporter les charges sociales et financières qu’il aurait supportées s’il avait employé lui-même des salariés. (Cass. crim. 17 février 2004, no 03-82.)
Jusqu’à 2011, la jurisprudence rappelait de manière constante que dès l’instant où la société prêteuse ne tire pas un « profit » de l’opération, cette dernière est licite. Il en est ainsi quand la société prêteuse se borne à refacturer à la société utilisatrice salaires et charges des salariés mise à disposition. Mais depuis le 18 mai 2011, la Cour de cassation a durci sa position en reconnaissant le caractère lucratif à un prêt de main-d’œuvre entre deux sociétés alors même qu’il n’y avait que refacturation des salaires, charges sociales afférentes et frais professionnels. La Cour s’est placée du côté de l’entreprise utilisatrice pour apprécier s’il y avait ou non un caractère lucratif à l’opération. Or, en l’espèce, la Cour a constaté que la société utilisatrice, qui n’avait aucun salarié propre, ne supportait aucun frais de gestion du personnel ; ce qui était de nature à constituer un but lucratif dans la mesure où l’opération avait pour effet d’entraîner « un accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel et l’économie de charges procurée à cette dernière ».(Cass. Soc., 29 oct. 2008, n°07-42.379)
Le risque de tomber sous la qualification de plusieurs infractions
Le fait de fournir de la main-d’œuvre à titre exclusif peut tomber simultanément sous le coup des deux infractions : le délit de prêt de main-d’œuvre illicite (articles L 8241-1 et L8241-2 du Code du travail) et le délit de marchandage (article L 8231-1 du Code du travail). En effet, le délit de marchandage est défini comme l’opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour conséquence de causer un tort aux salariés concernés ou d’écarter l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail. Ainsi, à la différence du délit de prêt de main-d’œuvre illicite, le délit de marchandage n’exige pas que l’opération prohibée concernant la main-d’œuvre ait un caractère exclusif mais requiert qu’un préjudice ait été causé au salarié. Dans certaines hypothèses, les critères des deux infractions sont réunis : il y a concours de qualification.
En l’état actuel de la jurisprudence, le délit de travail dissimulé peut, quant à lui, être directement retenu à l’encontre du client d’une entreprise sous-traitante dès lors qu’une requalification du contrat de sous-traitance en contrat de travail est opérée. Tel est notamment le cas si un lien de subordination entre l’entreprise principale et une « entreprise sous-traitante » est caractérisé.