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Salim, l’agent de sécurité qui a refoulé un kamikaze du Stade de France
A 42 ans, Salim T. est déjà un vieux routier de la sécurité privée. En dix ans de carrière, il a travaillé comme agent de sûreté aéroportuaire à Roissy, agent incendie à La Défense, puis dans des sites Seveso. Le vendredi 13 novembre en fin d’après-midi, Salim a quitté son domicile “ravi”.
A ce poste, Salim et ses collègues sont “en première ligne”, décrit-il. Ce n’est qu’une fois leur barrage franchi que les sacs des visiteurs sont fouillés, les supporters palpés en cas de doute. Salim n’observe “aucune anomalie” jusqu’à 20h15. C’est à ce moment-là qu’un jeune homme tente de se glisser derrière un autre pour passer le portillon sans billet. Salim se souvient de son visage juvénile, de sa silhouette menue, de cheveux et d’une veste noirs. Un fraudeur, pense-t-il alors. Il lui barre l’accès avec le bras, en continuant à faire entrer les spectateurs. “Il est resté un petit moment devant moi, raconte Salim. J’ai gardé l’oeil ouvert et je l’ai vu retenter de passer devant un de mes collègues. Je lui ai crié de ne pas le laisser entrer.” L’homme s’éclipse après ce second échec. Le flux des visiteurs se poursuit, sans encombre. “Je n’ai jamais pensé à un kamikaze”Quand une première explosion retentit à 21h20 dans le secteur est, Salim se trouve toujours devant la porte L. Le match a commencé. Tout est calme dehors et il ne bouge pas. A la deuxième détonation, dix minutes plus tard, Salim “comprend que c’est sérieux”. Il rentre dans l’enceinte du stade et court jusqu’à la porte d’où est parvenu le bruit. L’un de ses collègues est à terre, en sang, blessé à la jambe en plusieurs endroits. En tout, six agents de sécurité seront touchés par des éclats. D’autres sont en état de choc. “A aucun moment je n’ai pensé à un kamikaze, assure Salim, et mes collègues non plus.” A cette heure-là, les fusillades ont déjà éclaté dans Paris. Salim, lui, ne quittera le Stade de France qu’à deux heures du matin, le temps d’aider à l’évacuation des 80 000 spectateurs, puis de “ratisser jusqu’aux toilettes” pour vérifier que plus personne ne s’y trouve. Le week-end qui a suivi les attentats, Salim aurait pu penser tourner la page de son éprouvante soirée. Il lui arrive encore de sentir la détonation sourde des explosions vibrer dans son estomac, de se remémorer les blessures de son collègue, mais il ne s’imagine pas une seconde concerné parl’enquête. Jusqu’au coup de fil, le lundi matin, de la police judiciaire de Bobigny. “J’ai été très surpris que des enquêteurs demandent à me voir, glisse Salim. J’ai même eu peur qu’on me reproche d’avoir quitté mon poste le temps d’aider les blessés…” Si Bilal Hadfi était entré…Mais les policiers s’intéressent peu à ses qualités de secouriste. Le mercredi, ils lui soumettent les photos des corps démembrés des kamikazes. “C’est là que j’ai reconnu le jeune homme que j’ai empêché d’entrer”, s’étonne encore Salim, qui peine à décrire “son choc” et sa sidération. Le visage qu’il pointe devant les policiers est celui de Bilal Hadfi, le plus jeunes parmi les auteurs des attentats de Paris. Le terroriste de 20 ans a déclenché sa ceinture d’explosifs peu avant 22 heures, à 400 mètres du stade, où il n’a causé que sa propre mort. De l’intérieur, Salim n’a même pas entendu cette troisième détonation. Plus de deux semaines plus tard, les enquêteurs cherchent toujours à comprendre les intentions des kamikazes du Stade de France. Que ce serait-il passé si Salim avait laissé passer Bilal Hadfi? Le terroriste aurait-il actionné sa bombe lors de la fouille ou aurait-il pu atteindre les tribunes? L’agent de sécurité a-t-il à lui seul évité un bain de sang, causé par une explosion dans la foule ou le mouvement de panique qui l’aurait suivie? Pourquoi Bilal Hadfi s’est-il fait exploser loin de l’affluence? Autant de questions en suspens… Salim, lui, tente de reprendre une vie normale. Il n’est retourné qu’une fois au Stade de France, “le coeur gros”, et n’a pas encore retravaillé. Même s’il continue, assure-t-il, “d’aimer faire son métier”.