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Pendant quarante ans, Paris a connu des patrons, des DJs, des stars, des attachés de presse.
Et puis il y avait ceux qui tenaient la porte.
Parmi eux, un nom revient partout depuis quelques jours : Jacques Boko.
Pour beaucoup, il reste "Jacques des Bains", ce physionomiste massif, élégant, qui décidait si la nuit commençait… ou s’arrêtait sur le trottoir. Son décès à 69 ans ne touche pas seulement un cercle de proches. Il touche un métier. Une époque. Et toute une vision de la sécurité en discothèque.
Quarante ans à la porte des lieux les plus exposés de Paris
Son CV raconte une chose simple : Jacques Boko a passé sa vie là où la pression atteint son maximum.
Au début des années 90, il se retrouve aux Folies Pigalle et au Rex. Puis au Bataclan, en 1992-1993, comme physionomiste d’un club privé. Ensuite au Palace, puis surtout aux Bains Douches, entre 1993 et 2000. À cette période, la discothèque devient un aimant à célébrités. Madonna, Prince, DiCaprio, Bruce Willis, rappeurs, mannequins, héritiers. Derrière le cordon, la foule. Devant, Jacques.
Son rôle dépasse le simple "portier".
Il dirige le filtrage. Il tient la ligne avec l’équipe d’agents de sécurité. Il protège l’image du lieu, gère les tensions, encaisse les frustrations, prend les menaces.

Sa carrière ne s’arrête pas avec la fermeture des Bains Douches en 2010.
Il passe par d’autres clubs parisiens : clubs privés, établissements haut de gamme, discothèques comme le Bal des Étoiles, où il reste plus de trente ans. Il travaille aussi au Chrystal, au HOBO Paris, dirige un night-club à Marrakech, encadre des soirées au Man Ray, au Milliardaire, au Doobis. Il touche aussi au mannequinat, joue dans des clips et des films, conduit lors de la Fashion Week. Toujours dans le même univers : la nuit, le tri, la mise en scène.
Les dernières années, il garde un pied dans l’événementiel à travers Dance is Back. Quatre décennies au contact direct de la foule. Quatre décennies de filtrage physique… et social.
Les films et clips où Jacques Boko apparaît
Sa carrière ne s’est pas limitée aux portes des clubs. Jacques Boko a aussi tourné face caméra.
Son nom circule dans plusieurs productions des années 2000, souvent dans des rôles secondaires, mais toujours avec cette présence physique qui avait fait sa réputation.
Il apparaît dans plusieurs clips et projets musicaux, notamment aux côtés de Johnny Hallyday, Menelik, Morena et Lord Ko City. Une série de productions où son image imposante sert autant l’esthétique que le récit.
Jacques Boko joue également dans des films populaires du début des années 2000 :
- "La Vérité si je mens ! 2" (2001), comédie culte où il fait partie des silhouettes qui participent à l’ambiance du film.
- "Comme une image" (2004), film d’Agnès Jaoui, primé à Cannes, où sa présence marque les scènes de soirées.
- "Danny the Dog" (2005), film d’action franco-américain de Louis Leterrier avec Jet Li, Bob Hoskins et Morgan Freeman, tourné en partie à Paris.
Pas de rôle principal, mais une constance :
Jacques Boko reste fidèle à ce qu’il connaît le mieux, la représentation de la nuit, des clubs, de l’ambiance parisienne.
Sa présence à l’écran appartient à cette génération de professionnels de la nuit que le cinéma venait chercher pour leur authenticité.
Hommages : une légende de la nuit, vue depuis l’intérieur
Les hommages de Cathy et David Guetta donnent une première lecture.
Pour eux, Jacques Boko reste une pièce du puzzle de leur ascension à Paris. Cathy Guetta rappelle qu’il veille à la porte du Bataclan, du Palace, des Bains Douches, du Pink Paradise. Elle insiste sur sa bienveillance, notamment lorsqu’il raccompagne sa mère chaque soir.
David Guetta évoque leurs débuts communs :
lui derrière les platines, Jacques en "physio", tous les deux en quête de place dans un milieu saturé. On sent un respect mutuel, presque une fraternité professionnelle entre celui qui choisit la musique et celui qui choisit les clients.
Le photographe Sébastien Micke, lui, parle d’une "porte parmi les plus dures de Paris", mais d’un cœur loyal, d’un homme qui sait reconnaître "les siens". Il décrit un professionnel qui sait créer un sentiment de considération chez ceux qu’il accepte. Là, on touche au cœur du métier de physionomiste : le tri, mais aussi la reconnaissance.
Sur les réseaux, d’anciens habitués parlent de "souvenirs", d’un "super mec", d’une "figure emblématique de la nuit". Certains racontent la première fois où il leur dit enfin "vas-y, amuse-toi bien". Pour eux, ce feu vert reste un souvenir de jeunesse.
Entre respect et rancœur : le métier qui coupe le public en deux
Les commentaires ne sont pas tous doux.
Plusieurs messages rappellent l’autre face du poste. Des recalés parlent de "petit pouvoir", de mépris, de décisions brutales. Un témoin raconte une scène ouvertement discriminatoire à l’entrée. D’autres parlent d’une attitude "limite", d’humiliations, de nuits gâchées devant la porte.
Ce contraste ne surprend pas les professionnels de la sécurité.
Un physionomiste, surtout à cette époque, n’a pas un métier "sympathique". Il doit appliquer une politique de tri pour le compte du propriétaire, du directeur artistique, parfois du promoteur de la soirée. Tenue, attitude, nombre d’hommes, style, réputation… tout entre en ligne de compte.
Les consignes arrivent de l’intérieur. L’agent reste exposé à l’extérieur.
Résultat : ceux qui passent le cordon construisent un souvenir positif.
Ceux qui restent dehors gardent une colère parfois tenace.
Le cas de Jacques Boko concentre ce paradoxe. D’un côté, les hommages insistent sur sa loyauté, sa chaleur, son rire. De l’autre, certains refus d’entrée laissent une trace amère. Le métier de physionomiste crée ce clivage par nature.
Un agent de sécurité, pas un "videur" : ce que raconte sa trajectoire
Derrière la figure "mythique" de Jacques Boko, on voit surtout un agent de sécurité hyper-exposé, en première ligne sur un secteur à très haut risque.
Le droit encadre mal ce type de poste. La carte professionnelle, le contrôle du CNAPS, les exigences de moralité, les règles de sous-traitance, tout cela arrive progressivement, avec du retard sur la réalité du terrain. Le métier se structure, mais l’image publique reste figée sur le cliché du "videur".
La trajectoire de Jacques Boko montre autre chose.
Elle montre un profil hybride : sécurité, événementiel, direction de club, mannequinat, présence dans des clips et des films. Un homme utilisé autant pour sa capacité à "tenir la porte" que pour son image dans le milieu.
Pour la sécurité privée, ce type de parcours pose une question simple :
quelle reconnaissance réelle pour ces agents qui portent la nuit sur leur dos, prennent des décisions en quelques secondes, encaissent les coups… et finissent souvent sans statue, sans décoration, sans statut clair, à part celle de "légende" dans les souvenirs des autres ?
Un symbole pour la sécurité en discothèque
La mort de Jacques Boko ne se résume pas à la disparition d’un "physio" connu. Elle renvoie à tout un pan de la sécurité privée resté longtemps dans l’angle mort des pouvoirs publics.
Aujourd’hui, les décisions de justice s’enchaînent sur les violences à la porte, l’absence de carte pro, les sous-traitances douteuses, les fermetures administratives après incident. Les agents se retrouvent au centre du jeu juridique, souvent seuls face aux juges, aux préfectures, au CNAPS.
Dans ce contexte, la figure de Jacques Boko devient plus qu’une anecdote mondaine.
Elle rappelle la puissance de ce poste à l’entrée d’un établissement.
Elle rappelle aussi la nécessité d’un cadre clair, d’une formation solide, d’une éthique assumée… et d’un contrôle réel, pour que la "légende" ne serve pas de paravent à des pratiques inacceptables.
Jacques Boko emporte avec lui une part de la nuit parisienne.
Son parcours raconte surtout la place, souvent mal comprise, de l’agent de sécurité en discothèque. Entre tri social, protection réelle du public, et zone grise.
À retenir
- Plus de 40 ans de carrière dans la nuit, de Folies Pigalle aux Bains Douches, du Bataclan au Bal des Étoiles.
- Physionomiste central dans la stratégie de filtrage des clubs les plus exposés de Paris.
- Témoignages publics contrastés : respect, fidélité, mais aussi rancœur, accusations de comportements injustes.
- Un exemple emblématique du rôle et des dérives possibles autour de la sécurité en discothèque.
- Un rappel de la nécessité d’un encadrement strict, d’une formation renforcée et d’une vraie reconnaissance du métier d’agent de sécurité à la porte.
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