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Il y a des chercheurs qui observent le monde depuis leur bureau. Et puis, il y a ceux qui le vivent avant de l’étudier.
Yannick Garcia fait partie de cette seconde catégorie. Ancien vendeur, réserviste de la gendarmerie et enseignant dans l’Éducation nationale, il explore aujourd’hui un terrain encore peu documenté : celui de l’usage réel du numérique dans l’enseignement professionnel des Métiers de la Sécurité.
Le terrain avant les concepts
Dans son mémoire de Master 2 en ingénierie de formation et usages du numérique à l’Université du Mans, Yannick Garcia ne s’est pas contenté d’aligner des théories.
Il a interrogé 41 enseignants en Bac Pro Sécurité sur leurs pratiques, leurs contraintes et leurs astuces pour enseigner les gestes techniques à l’ère du numérique.
Résultat : un constat à la fois lucide et bienveillant.
Les enseignants, loin d’être technophobes, innovent souvent sans cadre institutionnel clair.
Ils bricolent, filment, montent des vidéos, conçoivent des supports interactifs, souvent sur leur temps personnel.
Mais derrière cette inventivité se cache une réalité : le geste professionnel reste indissociable du terrain.
Le paradoxe du geste numérique
Le cœur du travail de Garcia repose sur un paradoxe : les outils numériques sont jugés utiles, mais jamais suffisants.
L’écran aide à revoir, à expliquer, à illustrer – pas à ressentir ni à maîtriser le geste.
La pédagogie du concret, celle qui s’appuie sur la répétition et la démonstration, demeure irremplaçable.
Ce n’est pas une opposition entre le digital et le terrain, mais une cohabitation fragile.
Les enseignants utilisent les ENT pour communiquer, les plateformes vidéo pour montrer, mais s’appuient encore sur la pratique physique pour transmettre l’essence du métier : le mouvement juste, la posture, la coordination.
Des freins persistants
Les conclusions du mémoire rappellent aussi que la fracture numérique n’a rien d’un mythe.
Entre établissements bien équipés et lycées sous-dotés, la différence est flagrante.
Manque de matériel, faible connectivité, surcharge horaire : le numérique ne s’improvise pas.
Malgré tout, l’engagement des enseignants est réel, souvent sans reconnaissance institutionnelle à la hauteur de leur investissement.
Les perspectives : un numérique au service du geste
Le travail de Yannick Garcia ne s’arrête pas à ce constat. Il trace des perspectives claires pour la recherche et l’action de terrain.
Côté académique, il appelle à approfondir les études qualitatives – en allant observer les enseignants directement sur le terrain – et à explorer les apports potentiels des technologies émergentes : réalité virtuelle, réalité augmentée, intelligence artificielle appliquée à la simulation pédagogique.
Ces outils, encore peu exploités dans la filière Sécurité, pourraient enrichir la pédagogie du geste sans la dénaturer.
Sur le plan opérationnel, Garcia formule des recommandations concrètes :
- Renforcer les équipements et les infrastructures, condition sine qua non pour un usage efficace du numérique.
- Former réellement les enseignants à ces outils, avec des contenus ancrés dans leurs besoins professionnels.
- Mutualiser les ressources pour sortir du bricolage individuel et construire des communautés de pratiques pérennes.
- Valoriser le travail enseignant, souvent invisible, mais essentiel à la réussite de l’intégration du numérique.
- Et enfin, repenser l’ENT, trop souvent perçu comme un outil administratif, pour en faire un véritable support pédagogique.
Ces perspectives dessinent une voie claire : celle d’un numérique non pas comme une rupture, mais comme un levier d’amélioration du geste professionnel.
Un outil d’accompagnement, de consolidation, et peut-être demain, de valorisation d’une filière encore trop souvent sous-estimée dans sa capacité d’innovation.
De la salle de classe à la doctrine de formation
Le travail de Yannick Garcia résonne bien au-delà du Bac Pro.
Il pose une question centrale pour toute la filière sécurité : comment concilier le geste technique, l’humain et le digital dans une logique de formation moderne ?
À l’heure où les entreprises de sécurité investissent dans la formation à distance et les simulateurs, son analyse rappelle une vérité simple : on ne forme pas un agent à maîtriser un risque derrière un écran.
À retenir
- Le numérique accompagne mais ne remplace pas la pédagogie du geste.
- Les enseignants innovent souvent seuls, sans soutien institutionnel suffisant.
- Les écarts matériels entre établissements freinent l’intégration du digital.
- L’enjeu : penser une hybridation réelle entre outils numériques et pratique de terrain.
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Source :
Garcia Yannick, Les outils numériques dans l’enseignement des gestes techniques professionnels en bac pro « métiers de la sécurité » : logiques d'usages et paradoxe, Université du Mans, 2025.