Depuis 2009, à la demande des services du ministère de l’Intérieur, les préfectures refusent de soumettre les agents titulaires d’un SSIAP à la loi de 1983 encadrant les activités de sécurité privée. Une décision lourde de conséquences qui remet en cause plus de 20 années de pratique.
D’où vient ce revirement ? En quoi constitue-t-il un risque ? Pourquoi est-il capital d’inclure la sécurité incendie dans la loi de 1983 ?
Les agents de prévention incendie ne sont plus soumis ni à l’exigence d’autorisation administrative préalable (entreprises), ni à celle d’agrément (dirigeants) ni encore à celle d’obtention d’une carte professionnelle (agents).
Plusieurs dizaines de milliers de personnes échapperaient donc à la moralisation et à la professionnalisation de leur activité.
Ce vide juridique entraîne aussi des conséquences particulièrement alarmantes dans les immeubles de grande hauteur (IGH) et les établissements recevant du public (ERP) dans lesquels les agents de sécurité incendie accomplissent également et illégalement des missions de surveillance et de gardiennage.
Vongt ans de pratique confortés par des éléments de droit concordants
Or, pendant plus de 20 ans (de 1983 à 2009 précisément), la loi 83-629 du 12 juillet 1983 s’est appliquée aux activités de prévention incendie. Les préfectures ont adopté une lecture globalisée de l’article 1er sur la fourniture «des services ayant pour objet la surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles».
Au-delà de cette pratique, il apparaît que, au fil des ans, des éléments de droit – provenant de sources différentes – incluent de manière concordante la sécurité incendie dans le champ d’application de la loi de 1983.
Une approche encore renforcée par la jurisprudence dont deux décisions méritent d’être citées.
Dans la première, le Conseil d’Etat rappelle expressément la possibilité pour les entreprises de sécurité privée d’adjoindre à leur « coeur de métier » des prestations accessoires pourvu qu’elles soient le lien direct avec la surveillance et le gardiennage. Le Conseil d’État lui-même (24 novembre 2006, n°275412, 7e et 2e sous-sections réunies) considère que :
« Si les dispositions de l’article 3 de la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds n’interdisent pas aux entreprises de surveillance et de gardiennage d’exercer les activités complémentaires qui leurs sont nécessaires pour mener à bien les missions de surveillance et de gardiennage qui leur sont confiées, elles excluent que ces entreprises puissent être chargées de toute autre prestation sans lien avec leur activité de surveillance et de gardiennage. »
Dans la seconde, la Cour administrative d’appel de Versailles en acceptant de statuer sur un refus d’agrément préfectoral pour un agent de sécurité incendie admet implicitement mais indubitablement qu’un tel agrément relève bien de la loi de 1983 (CAA Versailles, 7 févier 2008, n°06VE792).
Le revirement : une exclusion mal fondée
À l’aune de ces éléments, comment alors expliquer le revirement intervenu en 2009 ? En réalité, il est la conséquence de l’apparition d’une formation professionnelle spécifique aux agents privé de sécurité accomplissant des missions de surveillance et de gardiennage (CQP « APS ») et mise en place cette même année.
Les formations SSIAP n’étant plus la référence pour apprécier l’aptitude professionnelle de ces agents, les préfectures ont reçu pour instruction de ne pas délivrer de carte professionnelle d’agent privé de sécurité aux détenteurs du seul SSIAP.
Mécaniquement, les agents de sécurité incendie sont donc tenus à l’écart de la loi de 1983.
Cette lecture restrictive de la loi est juridiquement fondée sur un seul rapport parlementaire (un rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale) dans lequel les parlementaires assimilent de manière contestable la sécurité incendie au… nettoyage !
L’étonnement est de mise ! Concrètement, le nettoyage ne peut raisonnablement – à la différence de la sécurité incendie – être considérée comme une activité complémentaire nécessaire pour mener à bien les missions de surveillance et de gardiennage confiées aux entreprises de sécurité privée. Une telle analyse sera au demeurant condamnée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 novembre 2006.
De la nécessité d’inclure les activités de prévention incendie dans le titre VI de sécurité intérieure
Force est de constater que ce changement de doctrine ministérielle ne s’appuie sur aucun argument juridique solide. En revanche, la thèse d’une inclusion de la sécurité incendie dans le champ d’application de la loi de 1983 s’appuie sur plusieurs sources juridiques concordantes.
Les agents de sécurité incendie (ayant une mission de prévention distincte de la seule maintenance technique et de la mise en oeuvre des moyens de lutte) opérant dans les IGH et les ERP doivent être soumis aux exigences de la carte professionnelle et au cadre légal de la loi de 1983 ; et ce, en raison de la nature mixte de leur mission et de leur contact en prise directe avec le public.
Au minimum, il convient de revenir à l’interprétation qui a prévalu de 1983 à 2009 et que rien ne permet de sérieusement démentir. Et si le droit actuel n’est pas considéré comme étant suffisamment solide, il incombe au politique de trancher le débat et d’adapter la loi en conséquence.
Risques à surveiller
En cas de maintien de l’exclusion de la sécurité incendie du champ d’application de la loi de 1983, plusieurs risques sont d’ores et déjà opposables. Nous en avons retenu 4.
1. Les entreprises de sécurité privée ne sont pas dans l’illégalité si elles commercialisent (par exemple à travers une filiale) une activité de sécurité incendie exercée par des agents titulaires du SSIAP.
Mais, dans ce cas, les sociétés concernées ne contribueront plus financièrement au financement du CNAPS, ce qui pourrait représenter un important manque à gagner…
2. Les agents d’une société privée de sécurité peuvent être amenés, à titre accessoire, à exercer une activité de sécurité incendie; il s’agit, en réalité, d’une conséquence de l’organisation des missions sur le terrain. Dans ce cas, il n’y a pas davantage d’illégalité si l’agent a le SSIAP et le CQP « APS ».
En revanche, l’illégalité est avérée lorsque les entreprises de sécurité incendie vendent des prestations de surveillance et de gardiennage sans se soumettre aux conditions imposées par la loi de 1983. Faute d’un régime juridique clair, des salariés de bonne foi encourent le risque d’être lourdement sanctionnés lorsqu’ils accomplissent simultanément des missions de prévention des incendies et des missions de surveillance contre les malveillances, comme c’est régulièrement le cas dans les ERP et les IGH.
3. Alors que l’Etat entend poursuivre la moralisation de la sécurité, il prend le risque de placer en dehors du champ de compétence du CNAPS des dizaines de milliers d’agents sur lesquels aucun contrôle n’est exercé malgré la sensibilité de leurs missions. Et ce, y compris dans des sites relevant des intérêts vitaux de la Nation !
4. Ces salariés se voient privés du bénéfice de la convention collective des entreprises de « prévention et sécurité » et des accords sociaux conclus au niveau de la branche, particulièrement protecteurs de leurs intérêts.
Des éléments de droit convergents et favorables
Doctrine administrative
La position des préfectures s’appuyait sur la doctrine du ministère de l’Intérieur, non démentie jusqu‘en 2009, exprimée dans la circulaire n°86-343 du 24 novembre 1986.
Extraits :
1.1.1 La surveillance des biens meubles et immeubles
La définition légale ne distingue pas selon la nature des biens protégés ou les modalités d’exercice de la surveillance, ni selon la nature des risques encourus.
Elle comprend par conséquent :
– toutes les modalités d’exercice de cette activité (surveillance directe itinérante ou statique, rondes, télédétection, télésurveillance, télésécurité, gardiennage avec chiens).
– La prévention de tous les types de risques (vols, cambriolages, hold-up, dégradations, incendies, fuites d’eau ou de gaz, pollutions chimiques, pannes, explosions, risques industriels etc…)
5-1-3 Le caractère préventif et dissuasif des activités régies par la loi
Le rôle des personnels qui les exercent est limité :
– aux interventions techniques en cas d’accident, panne, fuite, incendie, explosion ou à l’occasion de tout incident matériel mettant en cause la sécurité des personnes et des biens.
– à l’alerte des services d’incendie et de secours, de police et de gendarmerie.
– Aux opérations de contrôle sur place en cas de surveillance à distance (télésurveillance télésécurité) préalablement à l’alerte des services d’incendie de secours de police et de gendarmerie.
À deux reprises, lorsqu’elle détaille la notion de « surveillance des biens meubles et immeubles » et quant elle évoque le rôle des personnels, la circulaire mentionne expressément la sécurité incendie dans le champ des activités de sécurité privée de la loi de 1983.
Cette interprétation est reprise dans la circulaire n°9100184C du 3 septembre 1991 précisant le seuil numérique à partir duquel un service interne était constitué au regard de la loi de 1983. « Le législateur n’a prévu aucun seuil numérique pour l’application des dispositions relatives aux services internes. Aussi, les entreprises employant une seule personne pour l’exercice d’activités régies par la loi (veilleur de nuit, portier de discothèque, gardien de parking, agent de sécurité incendie,…) sont considérées comme disposant d’un service interne. »
Les activités de surveillance peuvent être exercées de diverses manières (la surveillance directe, itinérante ou statique, les rondes, la surveillance avec chiens, la télé-détection, la télé-surveillance, la vidéosurveillance). Quant au gardiennage, il englobe la prévention contre tous types de risques, aussi bien les cambriolages et intrusions que les incendies, fuites d’eau ou de gaz et les risques industriels.
La profession récuse d’ailleurs le terme de gardiennage qu’elle estime trop restrictif, préférant parler de surveillance humaine.
source: Proposition de l’ANAPS au ministre de l’intérieur
Mickaël MINGEAU
Professionnel et expert en droit appliqué à la sécurité privée, avec plus de 20 ans d'expérience dans ce secteur. Consultant, Formateur et enseignant. Titulaire d'une licence professionnelle, SSIAP 3.
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