Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, émet les plus sérieuses réserves sur certaines dispositions majeures de la proposition de loi portant sur la lutte contre l’insécurité et la fraude dans les transports publics qui sera examinée, le 16 décembre prochain, par l’Assemblée nationale et pour laquelle il avait été auditionné par la commission du développement durable le 10 novembre (l’avis du Défenseur des droits).
- Le Défenseur des droits affirme d’abord qu’il souscrit pleinement à l’objectif légitime de sécurité publique poursuivi dans les moyens de transports et les entreprises ferroviaires de la SNCF et de la RATP. Il relève cependant que la présente proposition de loi, confère à des agents privés de sécurité des prérogatives coercitives qui relèvent de missions de sécurité publique, choix qui conduit nécessairement à prendre une série de précautions.
- En attribuant des missions de sécurité publique à des agents de sécurité privée qui ne disposent pas du cadre juridique garantissant l’exercice de la « force légitime » propre aux forces de l’ordre, ce dispositif, exorbitant du droit commun, soulève des difficultés au regard du respect des libertés, en particulier du point de vue de leur proportionnalité.
En conséquence, selon sa mission de garant des libertés publiques, le Défenseur des droits :
- propose que les services de sécurité internes de la SNCF et de la RATP soient régis par le code de la sécurité intérieure (CSI) plutôt que par le code des transports. Dans le domaine de la sécurité, il ne paraît aucunement justifié que les agents de la SUGE pour la SNCF ou du GSPR pour la RATP fassent l’objet d’un traitement différencié.
- souligne que les nouvelles compétences que la proposition de loi prévoit d’attribuer aux agents de la SUGE et de la RATP vont modifier considérablement l’exercice de leur profession et, par-delà, la relation agents-usagers/clients. Aussi, pour accompagner ce changement, le Défenseur des droits ne peut que recommander que les entités concernées mettent en place des formations dispensées par des structures extérieures à destination de l’ensemble de leurs agents opérationnels, dans le cadre de l’intégration des nouveaux agents mais également en cycle continu.
- préconise l’alignement du régime de contrôle des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP sur le régime général de contrôle des agents privés de sécurité qui associe le contrôle externe mené par les policiers et gendarmes, mais aussi celui du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS), tel que prévu par le titre du livre VI du code de la sécurité intérieure (CSI).
- observe que le nouveau dispositif, d’une part, étend les pouvoirs des agents de sécurité des deux exploitants, d’autre part, instaure de nouvelles infractions et, enfin, crée de nouveaux cadres juridiques de contrôle. S’agissant des palpations de sécurité ou encore de l’inspection visuelle et de la fouille des bagages prévues par l’article 1 de la proposition de loi le texte prévoit que celles-ci requièrent l’accord des personnes concernées mais s’abstient de préciser les conséquences que ces dernières devront supporter en cas de refus. De plus, si l’exercice de ces prérogatives ne pourra être exercé que dans des « circonstances particulières liées à l’existence de menaces graves pour la sécurité publique » appréciées par le préfet, il convient de se demander si le contexte de menace terroriste actuel justifie une mise en œuvre de facto permanente de ce dispositif de contrainte.
Enfin, les dispositions prévues aux articles 6 bis et 6 ter introduisent l’obligation de détenir une pièce d’identité, la non–détention de celle-ci par une personne majeure pouvant permettre aux représentant des forces de l’ordre comme auxagents de sécurité de l’exploitant, de délivrer une contravention de la 3ème classe (jusqu’à 450 euros). Un tel ensemble de contrôles, inédits ou renforcés, ne saurait se concevoir sans une réflexion sur les garanties qu’il convient d’apporter aux voyageurs en vue d’assurer un équilibre entre exigences de la sécurité et respect des libertés.
Depuis sa création, à travers les décisions qu’il a rendues, et les réflexions qu’il a menées, le Défenseur des droits a constaté que les contrôles d’identité réalisés par les forces de l’ordre, vécus parfois comme discriminatoires, étaient sources de tensions et de dégradation de la relation entre les citoyens et les forces de l’ordre.
Or, l’exercice de prérogatives prévues par la proposition de loi peuvent porter atteinte aux libertés fondamentales, notamment celles d’aller et de venir (contrôles d’identité, interpellations, interdictions d’accès…) ou à l’intégrité physique (palpations). Ces interventions lorsqu’elles sont réalisées par les forces de l’ordre sont à l’origine d’incidents nombreux et parfois graves. Compte tenu du nombre très important de personnes susceptibles d’être contrôlées ou seulement concernées quotidiennement par ces nouvelles prérogatives dans les transports en Ile-de-France, il existe un risque très sérieux de multiplication des incidents, voire de troubles à l’ordre public qu’il convient de ne pas négliger.
Il paraît donc important au Défenseur des droits de règlementer plus précisément et de contrôler les mesures de contraintes exercées à l’encontre du public dans les entreprises ferroviaires et les trains de la SNCF et de la RATP, afin d’éviter la création d’une nouvelle source de tensions dans les relations population/représentants de l’autorité.
Il conviendrait par conséquent de préciser les circonstances, les motifs et les critères objectifs de sélection d’un passager qui se verrait obligé de se soumettre à de telles contraintes. Il conviendrait également de mettre en place un système de traçabilité, dont les modalités techniques pourraient être déterminées ultérieurement, à l’issue d’une réflexion que le Défenseur des droits se propose de mener en y associant tous les acteurs concernés.
Mickaël MINGEAU
Professionnel et expert en droit appliqué à la sécurité privée, avec plus de 20 ans d'expérience dans ce secteur. Consultant, Formateur et enseignant. Titulaire d'une licence professionnelle, SSIAP 3.
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