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Le choix par la France d’activités de surveillance opérées par des sociétés privées
Une originalité du système français de sûreté aérienne réside dans le fait que les activités de surveillance ne sont plus opérées par des personnels publics d’État, mais par des personnels de sociétés privées concessionnaires.
Ce choix du secteur privé, qui diffère de celui qu’ont fait, par exemple, les États-Unis ou l’Espagne, a été opéré dans la loi n° 96-151 du 26 février 1996 (article 28), qui a prévu une externalisation des contrôles.
Les dispositions législatives correspondantes figuraient à l’article L. 282-8 du code de l’aviation civile ; elles sont contenues maintenant dans l’article L. 6342-2 du code des transports, tel qu’il résulte de l’article 25 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (« LOPPSI 2 »).
Ce texte est ainsi libellé : « En vue d’assurer préventivement la sûreté des vols, tant en régime intérieur qu’international, d’une part les officiers de police judiciaire ainsi que, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1 bis et 1 ter de l’article 21 du code de procédure pénale et, d’autre part, les agents des douanes peuvent procéder à la fouille et à la visite, par tous moyens appropriés, des personnes, des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules pénétrant ou se trouvant dans les zones non librement accessibles au public des aérodromes et de leurs dépendances ou sortant de celles-ci.
Sont également habilités à procéder à ces fouilles et visites, sous le contrôle des officiers de police judiciaire ou des agents des douanes, les agents de nationalité française ou ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne désignés par les entreprises de transport aérien, les exploitants d’aérodromes ou les entreprises qui leur sont liées par contrat. Ces agents sont préalablement agréés par le représentant de l’État dans le département et le procureur de la République. Ils ne procèdent à la fouille des bagages à main qu’avec le consentement de leur propriétaire et à des palpations de sécurité qu’avec le consentement de la personne. Dans ce cas, la palpation de sécurité est faite par une personne du même sexe que la personne qui en fait l’objet…. »
Cette option pour des contrôles opérés par des sociétés privées qui sont unies aux gestionnaires d’aéroports par des contrats de sous-traitance (conclus en principe pour trois années) est bien un élément d’originalité de la surveillance « à la française ». Elle a été longuement analysée par la plupart des personnes auditionnées par la mission d’information.
M. Patrick Thouverez, président du Syndicat des entreprises de sûreté aérienne (SESA), indiquait ainsi que les activités de surveillance des passagers, de leurs bagages, des véhicules, des personnels exercées par plusieurs entreprises privées unies donc aux gestionnaires d’aéroports par des contrats de sous-traitance conclus après appels d’offres, regroupent plus de 10 000 salariés, 90 % d’entre eux bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée, pour un chiffre d’affaires qui était de 363 millions d’euros en 2009, réalisé alors pour 72 % en Île-de-France.
Quatre grandes entreprises, présentes dans l’ensemble de l’univers de la sécurité privée, assurent l’essentiel de l’activité : ICTS Services, pour 100 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, Brink’s et Securitas, pour chacune 80 millions d’euros annuels et Alyzia Sûreté, filiale d’Aéroports de Paris, réalisant, chaque année, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Sont présentes aussi sur ce marché, plusieurs petites sociétés, dont Astriam et Néo Sécurité, qui réalisent entre 1 et 20 millions d’euros de chiffres d’affaires et ne sont pas membres du SESA, lequel regroupe 80 % de l’ensemble.
il faut remarquer que certaines sociétés de sûreté aéroportuaire réalisent des marges insuffisantes et n’apparaissent pas structurellement rentables aujourd’hui. Le risque existe ainsi, de voir apparaître, dans l’avenir, sur le marché, des sociétés « multiservices » de sécurité, n’offrant pas nécessairement le niveau de qualification souhaité.
Les personnels des sociétés privées de sûreté aérienne doivent être ressortissants français ou d’un État membre de l’Union européenne, pouvoir apporter la preuve d’une absence de condamnation pénale définitive inscrite dans un document équivalent au bulletin n° 2 du casier judiciaire, faire l’objet d’un double agrément délivré conjointement par le préfet et le procureur de la République, garantissant leur moralité, et enfin être titulaires d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) d’agent de sûreté aéroportuaire (ASA) complété par le suivi d’un module de formation d’une durée de 7 à 28 heures correspondant à une spécialité (tenue de l’écran, contrôle des bagages de soute…) .
Les agents de la sûreté aérienne ne sont pas, en effet, des « multicartes » de la sûreté privée, mais sont formés à des activités précises.
Le CQP, qui n’ouvre pas par lui-même la possibilité de travailler, est accordé par la Commission nationale paritaire de l’emploi et de la formation professionnelle des entreprises de sécurité, au terme d’une formation délivrée dans des centres agréés par la direction générale de l’aviation civile (soit aujourd’hui, 30 centres), sous réserve de réussite à une évaluation des connaissances réalisée devant un jury paritaire indépendant. La formation au CQP a une durée de 78 heures et comporte une initiation aux questions de sécurité en plus de celles de sûreté ; elle est dispensée par des formateurs tous certifiés par l’Ecole nationale de l’aviation civile (ENAC).
Les critères prévus par le certificat de qualification professionnelle d’agent de sûreté (CQP ASA) ont permis une élévation du niveau de compétence de ces agents. L’accent y est mis, en effet, sur la qualité de l’accueil, la vigilance et la concentration dont les agents doivent faire preuve, ainsi que sur leur capacité à gérer des situations conflictuelles.
Les agents de sûreté se voient attribuer une carte professionnelle délivrée par le préfet après une enquête de moralité, carte qui leur permet de travailler et de changer éventuellement de société.
Ils bénéficient, en outre, d’une formation continue. M. Claude Kupfer, directeur de la sûreté à Aéroports de Paris (ADP), a ainsi donné à vos Rapporteurs l’exemple des actions de formation continue menées dans les sociétés privées liées à ADP par des contrats de sous-traitance : chaque opérateur doit, tous les trois ans, « recycler » 50 % de sa formation initiale et, tous les trois mois, passer six heures devant un simulateur d’imagerie radioscopique.
Selon une enquête effectuée, en août 2010, par l’Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité, le taux de féminisation de la profession était de 47 % en 2009, l’ancienneté moyenne des agents était alors de 4,5 années et leur âge moyen de 35,5 ans. Le « turn over » est, quant à lui, assez important (20 %), bien qu’en diminution ; un nombre significatif d’agents quittent cette profession souvent pour d’autres métiers de la sûreté.
Les appréciations portées devant la mission sur la qualité du travail effectué par les sociétés privées sous-traitantes ont parfois différé selon les intervenants : M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile (DGAC), estimait ainsi que : « Les agents de sûreté constituent une profession qui a su s’adapter et élever son niveau en termes de recrutement, de formation, comme de rémunération ».
En revanche, M. Christophe Naudin, criminologue, auteur d’un ouvrage intitulé « Sûreté aérienne, la grande illusion » et d’une étude transmise le 1er juin au ministre chargé des transports sur le thème « Forces et faiblesses de la sûreté aérienne en France » jugeait que « le choix d’une délégation des prestations de sûreté aérienne à des sociétés privées a peut-être été opéré rapidement sans la considération nécessaire à cette mission. La formation des agents de sûreté est défaillante, minimaliste, dangereuse et la sélection s’avère inexistante, car on cherche avant tout à faire de la réinsertion sociale…».
Pourtant, vos Rapporteurs observent qu’aucune des personnalités auditionnées n’a plaidé pour le retour à des contrôles effectués par les agents publics, tel que le prévoyaient les textes applicables avant l’externalisation des contrôles décidée en 1996. Plusieurs d’entre elles ont fait état, en revanche, de dysfonctionnements potentiels dans les procédures de formation des agents de sociétés privées.
Signalons enfin que le secteur des marchandises fait l’objet de mesures particulières : la sécurisation du fret est confiée aux compagnies aériennes qui délèguent cette compétence à des professionnels faisant l’objet d’un agrément « d’agents habilités ». Une partie du fret ne pouvant, par ailleurs, pas être contrôlée par équipement radioscopique après son conditionnement, sa sécurisation relève du chargeur qui effectue un contrôle visuel du fret et doit, pour cela, avoir obtenu un agrément de « chargeur connu ».
Source:
Issue du rapport parlementaire sur la sureté aéroportuaire